31.03.2020
Coronavirus et tribunaux de commerce, la révolution de velours
Ou comment l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 pourrait, tout en douceur, révolutionner les tribunaux de commerce
Alors que l’état d’urgence sanitaire était suivi de près par l’état d’urgence économique charriant sa ribambelle de mesures (chômage technique, moratoire fiscal et social), une drôle de musique se faisait entendre. L’ouverture de nouvelles procédures de sauvegarde, redressement ou liquidation, voire même de conciliation serait inutile et inefficace. Seul le mandat ad hoc semblait survivre à ce jugement digne des cours martiales, nous étions, après tout, déjà « en guerre ».
La presse n’étant pas encore totalement au service de l’effort de guerre, d’irréductibles gaulois, modestement surnommés « urgentistes » des entreprises, lançaient un appel solennel à laisser les entreprises malades accéder, même à distance, aux hôpitaux plus communément connus sous le nom de tribunaux de commerce (Coronavirus : les « urgentistes » des entreprises sonnent l’alarme, Le Monde, Isabelle Chaperon, publié le 23 mars 2020).
D’avant-gardistes tribunaux répondaient à l’appel en permettant l’ouverture dématérialisée de mandats ad hoc, procédures de conciliation et même de procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation (voir notamment Nanterre, cet incorrigible soixante-huitard).
Tous attendaient que le Gouvernement rectifie le tir en jacobinisant ce qui relevait pour l’instant d’initiatives locales.
Une première salve de 25 ordonnances prises le 25 mars 2020 douchait les espoirs des trépidants professionnels des entreprises en difficulté qui commençaient sérieusement à s’ennuyer.
Le 27 mars le Gouvernement prenait 5 autres ordonnances (Dommage de s’être privé de cette récidive symbolique : les 27 ordonnances du 27 mars après les 25 du 25 mars). Parmi elles, l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale.
Loin du Graal objet d’une si longue quête, l’ordonnance apporta quelques modifications intéressantes des procédures : jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, l’état de cessation des paiements est apprécié selon la situation du débiteur au 12 mars 2020.
Quelques conséquences pratiques peuvent déjà être entrevues : le dirigeant qui risque des sanctions s’il ne déclare pas son état de cessation des paiements dans les 45 jours gagne un peu de temps si cet état intervient pendant la crise. Bien plus pertinent au regard de la situation actuelle, le dirigeant en état de cessation des paiements depuis le 12 mars 2020 peut tout de même demander la désignation d’un mandat ad hoc. De même, une conciliation est possible tant que la cessation des paiements n’est pas intervenue plus de 45 jours avant le 12 mars 2020.
La durée des conciliations est également prorogée de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Si ces mesures encourageront peut-être les entreprises à recourir aux outils du droit des entreprises en difficulté, c’est surtout du côté des modalités très pratiques de l’ordonnance qu’il faut chercher le big bang qui sauvera nos entrepreneurs malades.
Car ce sont des pans entiers de cet archaïsme tant raillé par nos amis administrativistes et leur jalousé télérecours qui semblent être submergés par la vague épidémiologique en ces quelques révolutions : sont rendus possibles la remise au greffe des actes de saisine des tribunaux par tout moyen, (ou pour parler vulgairement, par mail), le recueil des observations du demandeur par tout moyen, la communication entre le greffe, l’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire ainsi qu’entre les organes de la procédure par tout moyen.
L’accès aux soins de nos malades devrait en être grandement facilité.
Comme le disait Paul Valéry, « durer provient de dur » alors espérons que les fondations de ces bouleversements soient solides.
Baptiste de Fresse de Monval, Avocat